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Murielle-Isabelle CAHEN nous parle de l'avenir des casinos en ligne en France

03 mars 2025

La pression des lobbys pro-régulation s'accentue au sujet du casino en ligne. Un amendement dans le budget 2025 du gouvernement (depuis retiré) a relancé le débat de réguler ou non ce secteur. On a cherché à en savoir plus avec la spécialiste Murielle-Isabelle CAHEN.

Murielle-Isabelle CAHEN
Murielle-Isabelle CAHEN
Avocate, Spécialiste en Droit du numérique et des communications

Murielle-Isabelle CAHEN est avocate à la cour (Paris 5ème arrondissement de Paris). Maître Murielle CAHEN intervient principalement en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit des affaires, droit civil & familial, droit pénal, droit de l’immobilier, droit du travail et droit de la consommation.

Pour en savoir plus, consultez le site web www.murielle-cahen.fr.

1. Pouvez-vous nous dire pourquoi les casinos en ligne restent interdits en France alors que d’autres formes de jeux d’argent en ligne, comme le poker ou les paris sportifs, sont autorisées ?

Murielle-Isabelle CAHEN : La prohibition des casinos en ligne en France s’explique par une distinction juridique et politique entre les jeux d’argent, fondée sur des critères de protection des joueurs et de lutte contre l’addiction. Le cadre légal français (Code de la sécurité intérieure, articles L. 320-1 et suivants) autorise uniquement les jeux en ligne considérés comme moins risqués ou mêlant habileté et chance, tels que le poker (classé comme jeu de cercle) et les paris sportifs. Ces activités sont régulées par l’Autorité nationale des Jeux (ANJ), créée en 2019, qui supervise leur encadrement strict (limites de dépôt, vérification d’identité, etc.).

À l’inverse, les jeux de casino en ligne (machines à sous, roulette, etc.) sont perçus comme des jeux de pur hasard, associés à un risque accru d’addiction en raison de leur rapidité et de leur accessibilité.

Le législateur français a historiquement privilégié une approche restrictive, héritée de la loi de 2010 (dite "loi Chatel"), qui a ouvert partiellement le marché tout en excluant les casinos en ligne pour des motifs de santé publique. Cette exclusion est également liée à la protection des monopoles historiques (La Française des jeux et Pari-Mutuel Urbain), qui opèrent sous un régime strict et contribuent au financement d’activités d’intérêt général.

2. La réglementation française est-elle conforme aux directives européennes en matière de jeux d’argent en ligne ?

Murielle-Isabelle CAHEN : La conformité de la réglementation française avec le droit européen a été contestée, mais elle est généralement jugée légale sous réserve du principe de proportionnalité. L’article 56 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE (TFUE) garantit la libre prestation de services, mais les États membres peuvent invoquer des exceptions pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de protection des consommateurs (arrêt CJUE, *Santa Casa*, C-42/07 (CURIA - Documents). La France a été confrontée à des contentieux, notamment sur la licéité de ses restrictions (ex. : arrêt CJUE *Zeturf*, 2022 (CURIA - Documents).

Toutefois, la Cour de Justice a généralement validé les mesures françaises, estimant que l’interdiction des casinos en ligne était proportionnée au regard des objectifs de lutte contre la fraude et l’addiction. La Commission européenne, dans ses rapports, critique parfois le manque d’harmonisation entre États membres, mais reconnaît la marge de manœuvre nationale. Ainsi, le cadre français, bien que restrictif, respecte les exigences européennes sous réserve d’une application non discriminatoire.

3. Selon vous, pourquoi la France met-elle autant de temps à légaliser les casinos en ligne ?

Murielle-Isabelle CAHEN : Plusieurs facteurs expliquent cette lenteur :

  • Résistances politiques et sociales : Les débats parlementaires reflètent des craintes quant à l’explosion des addictions, surtout chez les jeunes. Les groupes de pression antijeu (associations de prévention) et les monopoles historiques influencent les décideurs.
  • Enjeux économiques et fiscaux : Une légalisation impliquerait de repenser le modèle actuel, notamment la concurrence avec les opérateurs étrangers et la perte de revenus pour les monopoles nationaux.
  • Complexité réglementaire : Mettre en place un système de contrôle efficace (lutte contre le blanchiment, protection des mineurs) nécessite des ressources importantes, ce qui retarde les réformes.
  • Priorités gouvernementales : Les sujets liés au jeu en ligne sont souvent relégués derrière des enjeux socio-économiques plus pressants (santé, énergie, etc.).

4. À votre connaissance, existe-t-il des discussions ou des projets de loi visant à légaliser les casinos en ligne en France ?

Murielle-Isabelle CAHEN : Des discussions préliminaires existent, mais aucun projet concret n’est en cours. En 2023, un rapport du Sénat a suggéré une expérimentation encadrée des jeux de casino en ligne, évoquant des gains fiscaux potentiels (estimés à 1 milliard d’euros annuels).

L’ANJ a également appelé à une réflexion sur une régulation plus inclusive, soulignant l’inefficacité du blocage des sites illégaux (près de 50 % des joueurs français utilisent des plateformes non autorisées).

Cependant, le gouvernement actuel reste prudent. Une légalisation nécessiterait un consensus politique difficile à obtenir avant les élections européennes de 2024 et présidentielles de 2027. Les oppositions de gauche et une partie de la majorité présidentielle restent hostiles, par crainte d’un "laxisme" sociétal.

5. Peut-on s'attendre à une légalisation des casinos en ligne dans l'année 2025 ?

Murielle-Isabelle CAHEN : Une légalisation en 2025 est peu probable, bien que des avancées partielles puissent survenir. Plusieurs éléments freinent cette échéance :

  • Calendrier législatif chargé : Les réformes structurelles (retraites, éducation) monopolisent l’agenda parlementaire.
  • Nécessité d’une réforme globale : Légaliser les casinos en ligne impliquerait de modifier plusieurs codes (sécurité intérieure, fiscalité) et de créer un dispositif de contrôle ad hoc, un processus long.
  • Contexte européen : La Commission européenne pourrait accroître ses pressions pour une libéralisation, mais la France résisterait en invoquant ses spécificités sociales.

Toutefois, l’évolution des pratiques (essor des cryptomonnaies, réalité virtuelle) et la concurrence internationale (Allemagne, Espagne ayant assoupli leurs règles) pourraient accélérer les débats.

Une hypothèse réaliste serait une ouverture partielle d’ici 2026-2027, après les prochaines élections présidentielles.

La France maintient l’interdiction des casinos en ligne par prudence réglementaire et souci de santé publique, en s’appuyant sur une interprétation restrictive, mais juridiquement défendable du droit européen. Une légalisation à moyen terme dépendra d’un équilibre entre pression économique, évolution des mentalités et renforcement des garde-fous sociaux.